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Pr Soumaya Naamane Guessous : Monsieur le Ministre de la justice, je dénonce une injustice inadmissible.




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S., 11 ans, vit dans un douar près de Tiflet. Son père a refusé de l’inscrire à l’école, à 6 km de la maison, derrière une forêt, de peur qu’elle se fasse violer.

Un mercredi, jour de souk, S., seule à la maison, est assaillie par trois hommes du voisinage.

Ils la violent tous les trois et la menacent de tuer sa famille si elle parle.

Les viols se répètent. Le premier violeur est marié, père de 3 enfants. Le second est le neveu du premier. Le troisième est leur voisin.

Le premier a une nièce de l’âge de S. à qui il demande, plusieurs fois, de lui ramener S. La nièce assiste aux viols de S. par les trois hommes!

S., tétanisée par les menaces de ses tortionnaires, garde le silence.

Un jour, un des violeurs, en déshabillant S., remarque son ventre. La rumeur de la grossesse circule dans le douar. Un voisin alerte le père. La grand-mère amène la petite chez le médecin: S., 12 ans, est enceinte de 8 mois!

S. refuse de parler. Le père s’adresse aux gendarmes qui, après avoir sécurisé la petite, découvrent l’atroce vérité.

Les violeurs sont emprisonnés et le père s’adresse au Procureur du Roi de Tiflet qui l’envoie au tribunal de Rabat.

15 jours plus tard, S. accouche d’un garçon.

Portant son bébé dans ses bras, elle se rend au tribunal avec son père et sa grand-mère. Là, elle rencontre une bonne âme. Siham: «J’étais au tribunal pour une affaire quand mon regard a croisé celui d’un enfant portant un enfant. Un regard accablé, effrayé, d’une immense tristesse. Son dos était courbé par le poids du bébé. Je m’approche d’elle et j’apprends l’atroce drame.»

Cette âme charitable va prendre en charge la fillette.

Miriam Othmani, présidente de l’association INSAF, qui soutient les mères célibataires, m’informe: «Nous l’avons appris par les réseaux sociaux. Une femme, touchée par ce drame, a publié l’information en joignant son numéro de téléphone et celui du père de la victime. Nous avons envoyé deux de nos assistantes sociales chez la famille pour prendre en charge la petite et son enfant.»

Siham, qui habite Rabat, s’est chargée d’aller au douar de la fillette et sa grand-mère et de les ramener plusieurs fois à Casablanca, au siège d’INSAF.

La petite et son fils ont été pris en charge par INSAF: médecin, pédiatre, psychologue, habits, lait… L’enfant a été enregistré à l’état civil. S. sera soutenue jusqu’à son entière autonomie.

Miriam Othmani: «Comme elle n’a jamais été scolarisée, nous avons fait fonctionner une chaîne de solidarité, grâce aux Académie régionales de l’éducation et de la formation qui l’ont intégrée dans l’école de la deuxième chance.»

A 13 ans, près d’un an après son accouchement, S. est interne et suit sa scolarité. Elle revient dans sa famille le week-end pour s’occuper de son fils.

Elle devra vivre toute sa vie avec une plaie ouverte. Elle devra aimer un enfant fruit d’une violence immonde. Elle devra affronter le regard de la société, pas toujours clément.

Son fils, un innocent qui n’a pas demandé à naître, sera toujours considéré comme un citoyen illégitime. Pire! Une expertise médicale par ADN a identifié le père parmi les violeurs. Pourtant… Pourtant… Le père de l’enfant a été jugé et emprisonné pour avoir violé et engrossé la fillette. Mais aucune loi ne l’oblige à reconnaître l’enfant, ni à lui donner son nom, ni à l’entretenir. Epouvantable.

Le plus odieux ? Deux ans de prison pour les violeurs. Deux d’entre eux doivent verser à la victime 20.000 dirhams et le troisième 30.000 dirhams. Et c’est tout.

Monsieur le Ministre de la Justice, j’aimerais comprendre ce verdict. Je ne suis pas juriste, je suis une simple citoyenne choquée, ahurie, scandalisée. Et je suis sûre que chaque personne qui lira cet article le sera, y compris vous.

A ma connaissance, le viol est lourdement pénalisé au Maroc.

L’article 486 du Code pénal stipule qu’un viol est «l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci».

Les juges ont-ils considéré que ces viols répétitifs, en bande organisée, par 3 hommes majeurs sur une mineure de 11 ans, ont été consentis?

Selon le Code pénal, si le viol a été commis sur une mineure de moins de 18 ans, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans (art. 486).

S’il y a eu défloration, la réclusion est de 20 à 30 ans (art. 488).

On est bien loin des 2 ans prononcés par le tribunal.

En outre, ces viols ont eu lieu en bande organisée et ont été répétitifs, ce qui devrait alourdir les peines.

Par ailleurs, S. a affirmé que la nièce d’un des violeurs, une mineure, assistait parfois aux viols. Pourquoi l’accusation d’attentat à la pudeur sur la personne d’une mineure n’a-t-elle pas été retenue? A ma connaissance, un oncle et ses 2 compagnons qui violent une fillette en présence de la nièce adolescente est une atteinte à la pudeur: 2 à 5 ans d’emprisonnement (art. 484). Je me demande même si cette nièce n’a pas elle-même subi de la violence sexuelle.

La famille de la fillette et ses bienfaiteurs sont scandalisés par cette injustice.

Dans son malheur, S. a eu un peu de chance en rencontrant Siham, dont Miriam Othmani dit: «Cette dame ne ménage aucun effort pour apporter à S. et sa famille un peu de réconfort. Si chacun de nous en faisait autant, il y aurait moins de malheur sur Terre.»

Un avocat connu par son militantisme pour les droits de l’Homme s’est engagé bénévolement pour faire appel.

J’espère, Monsieur le Ministre, que Justice sera rendue à cette famille et à cette fillette.

Lettre ouverte de Pr Soumaya Naamane Guessous




Mercredi 5 Avril 2023

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