La recomposition du commerce international n’a plus rien d’abstrait. Hausse des barrières tarifaires, durcissement des normes environnementales, relocalisation partielle des chaînes de valeur : les règles du jeu changent. Pour l’Afrique, le choc est réel. BCG estime que la fragmentation des échanges pourrait générer jusqu’à 5 milliards de dollars de coûts supplémentaires sur les exportations du continent. À cela s’ajoute une contrainte financière lourde : entre 50 et 70 milliards de dollars de flux d’aide internationale pourraient être remis en cause à moyen terme, dans un contexte d’endettement souverain accru.
 

Mais cette pression n’est pas uniforme. Le rapport Africa Unleashed: Seizing Opportunity in a Shifting Geopolitical Landscape met en lumière une Afrique à plusieurs vitesses. Certains pays, mieux intégrés aux chaînes de valeur et dotés d’infrastructures solides, disposent d’un avantage décisif. Le Maroc figure clairement dans ce groupe restreint.
 

L’analyse de BCG repose sur une enquête menée auprès de plus de 350 dirigeants africains, en partenariat avec l’Africa CEO Forum, et sur un modèle mobilisant plus de 500 millions de données commerciales et macroéconomiques. Un socle empirique qui confère du poids aux projections avancées.

D’ici 2033, le commerce total de l’Afrique progresserait à un rythme annuel moyen de 3,5%, contre environ 2% pour l’Union européenne. Cette dynamique traduit un basculement progressif des flux vers les marchés émergents. La géographie des échanges évolue également : le corridor Afrique–Chine devrait croître de 173 milliards de dollars, contre 100 milliards supplémentaires avec l’UE. Les échanges avec l’Inde, l’ASEAN et les États-Unis suivraient une trajectoire positive, mais plus mesurée.
 

Dans ce paysage mouvant, le Maroc joue un rôle singulier. Son intégration avancée aux chaînes de valeur européennes, notamment dans l’automobile et l’aéronautique, se combine à une ouverture croissante vers l’Afrique et les économies du Sud. Tanger Med, les plateformes industrielles exportatrices, l’agro-industrie en montée de gamme et les investissements dans les énergies renouvelables constituent un socle opérationnel rare à l’échelle du continent.
 

Cet avantage comparatif a toutefois un revers. La dépendance aux marchés européens expose les entreprises marocaines aux nouvelles exigences climatiques. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) transforme la conformité environnementale en critère économique central. Désormais, durabilité et compétitivité avancent de pair.
 

La ZLECAf apparaît, à cet égard, comme un levier stratégique. BCG estime qu’elle pourrait accroître de 32% les exportations intra-africaines et structurer un marché intégré de 3.400 milliards de dollars. Pour le Maroc, l’enjeu dépasse l’augmentation des volumes : il s’agit de consolider un rôle de plateforme régionale, facilitant les échanges grâce à ses accords préférentiels, ses infrastructures et son savoir-faire industriel. Les obstacles persistent, notamment les barrières non tarifaires et les déficits logistiques, mais l’horizon reste porteur.

Dans un monde où le commerce se fragmente, le Maroc avance avec méthode. En articulant intégration régionale, compétitivité industrielle et transition verte, le Royaume se positionne moins comme un simple exportateur que comme un nœud stratégique des échanges afro-euro-méditerranéens. Un pari exigeant, mais économiquement cohérent.