Par Mustapha Sehimi
À l’approche des élections législatives prévues en septembre 2026, plusieurs partis ont déjà amorcé, parfois depuis des mois, les préparatifs du scrutin. Une mobilisation discrète en apparence, mais dont le caractère résolument activiste ne trompe personne. Officiellement, on continue de feindre l’attente du coup d’envoi, comme si les électeurs étaient absents du paysage ou indifférents à ces signaux. Dans ce contexte, la présence de plus en plus visible du Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, président du RNI depuis 2016, ne passe pas inaperçue. Son engagement croissant laisse entrevoir une stratégie électorale articulée autour de deux axes complémentaires, révélateurs d’une ambition de reconduction.
Un bilan allègrement optimiste
Le premier axe a trait à ses interventions, notamment dans le cadre des séances mensuelles prévues par la Constitution réservées aux questions de politique générale (art.100, al.3). Il y présente à chaque fois un bilan allègrement optimiste sur les réalisations de son cabinet. Dernièrement, il a fait évoluer son positionnement en mettant en avant des orientations et des objectifs inscrits dans l’horizon 2026-2030. Une manière, déjà, de s’imposer dans le paysage à venir et de préempter symboliquement la direction de l’exécutif, avant même le scrutin législatif de 2026. Son discours s’articule désormais autour de l’idée d’un «gouvernement du Mondial 2030». Une façon de se projeter dans la durée… ou de laisser entendre une reconduction perçue comme allant de soi ?
Autre domaine où lui, ses ministres et son parti, se mobilisent également: les réunions dans les régions (Agadir, Dakhla...) par exemple, à la faveur de l’Université d’été des Jeunes ou d’autres occurrences. La machine RNI s’active. Tel un rouleau compresseur, elle escompte bien un «remake» du succès législatif du 8 septembre 2021. Est-ce bien réaliste? C’est que l’année prochaine, le gouvernement qu’il dirige sera comptable d’un bilan sujet à caution à bien des égards: l’emploi promis d’un million d’emplois est en berne (181.000 emplois perdus en 2022 et 2023 surtout dans le monde rural, 84.000 emplois seulement créés en 2024). Aujourd’hui encore, il projette une réduction du taux de chômage à 9%… à l’horizon 2030. Une promesse lointaine, qui peine à convaincre sur le court terme. Difficile, dans ces conditions, de miser sérieusement sur une première place du parti de la colombe aux législatives de 2026, du moins sur le papier.
Aziz Akhannouch s’inscrit pleinement dans cette logique. Il bénéficie d’atouts non négligeables: un réseau de notables acquis à sa cause (par conviction ou opportunisme), des ressources financières considérables, à l’image de la campagne de 2021, et, du moins, jusqu’ici, d’une neutralité bienveillante de l’administration.
Dans ces conditions, l’hypothèse d’un effondrement du parti semble peu crédible. Reste à savoir s’il parviendra à se maintenir en tête. Un scénario loin d’être exclu.
Reconduction
Dans cette éventualité, Aziz Akhannouch sera-t-il reconduit pour une nouvelle mandature. L’on avance, dit-on, qu’il y croit dur comme fer. Aux termes des dispositions de l’article 47 (al.1) de la Constitution, le Roi a une compétence liée: celle de nommer «le Chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants et au vu de leurs résultats». En bonne logique, l’on peut penser que ce sera Aziz Akhannouch, dirigeant du RNI.
Se pose cependant l’objection de principe de la pratique du quart de siècle du nouveau Règne. Depuis octobre 2002 et au lendemain des élections législatives, aucun chef d’exécutif sortant n’a été reconduit.
Avant l’entrée en vigueur de la Constitution de juillet 2011, la reconduction à la tête du gouvernement ne relevait pas d’une évidence politique. Abderrahmane El Youssoufi, dont le parti (l’USFP) était arrivé en tête avec 50 sièges, n’avait pas été reconduit pour un second mandat — une situation qu’il avait lui-même dénoncée en évoquant le «non-respect de la méthodologie démocratique». Son successeur, Driss Jettou (2002-2007), n’a pas été reconduit non plus. Quant à Abbas El Fassi, chef de file du Parti de l’Istiqlal, arrivé premier avec 52 sièges, il a mené un unique mandat, jusqu’en 2011.
«Annonces et promesses suffiront-elles encore? Sont-elles seulement audibles (et crédibles) aux yeux de citoyens désormais plus informés, plus critiques, et davantage politisés à l’ère des réseaux sociaux?»
— Mustapha Sehimi
Conformément à la nouvelle Constitution, le Roi a tenu à appliquer scrupuleusement la règle énoncée à l’article 47. En 2011, Abdelilah Benkirane, leader du Parti de la Justice et du Développement (PJD), arrivé en tête avec 107 sièges, a été nommé Chef du gouvernement.
Le 17 mars 2017, c’est cependant Saaâdeddine El Otmani, président du Conseil national du PJD, qui a été désigné à sa place, succédant à Benkirane, alors secrétaire général du parti et Chef de gouvernement sortant.
A noter, au passage, que tout a été fait, depuis le scrutin législatif du 7 octobre 2016, pour bloquer la possibilité de formation d’une majorité de soutien d’un nouveau cabinet dirigé par Abdelilah Benkirane.
Le prétexte? Le refus d’y associer 1’USFP de Driss Lachgar.
Après cinq mois de blocage politique, le Roi avait alors activé l’article 47 de la Constitution en nommant un Chef de gouvernement issu du PJD, arrivé en tête du scrutin avec un score renforcé de 125 sièges.Dans cette logique institutionnelle, la question se pose désormais: le Souverain serait-il disposé à reconduire Aziz Akhannouch en 2026, si son parti venait à se maintenir en tête? Ce dernier pourra faire valoir, d’ici là, son bilan économique et social. Mais encore faut-il qu’il parvienne à en faire une marque politique lisible et mobilisatrice.
Le dialogue social avec les partenaires peine à trouver un second souffle. Sur le front de l’emploi, les indicateurs restent préoccupants: le taux de chômage, qui s’établissait à 2,8 % en 2022, a bondi à 13,3 % au premier trimestre 2025, portant le nombre de chômeurs à 1,638 million.
Le sous-emploi, quant à lui, touche désormais 1,254 million de personnes, en hausse par rapport aux 1,069 million recensés en 2022, malgré une baisse apparente du taux (de 10,3 % à 2,8 %) liée à une redéfinition des critères.
Sur le plan économique, les signaux sont contrastés. Les investissements directs étrangers connaissent une nette contraction: 2,2 milliards de dollars en 2022, à peine 1 milliard en 2023 (-55 %), avant de remonter légèrement à 1,6 milliard en 2024.
Du côté des principaux agrégats macroéconomiques, les projections pour 2025 font état d’une croissance de 3,9 % (source : FMI), d’un recul de l’inflation à 2,2 %, d’un déficit budgétaire ramené à 4 % du PIB, et d’un ratio dette/PIB de 69 %.
Toutefois, le déficit commercial continue de se creuser, alimenté par une forte hausse des importations, tandis que les exportations peinent à suivre, freinées par le recul de secteurs clés comme l’électronique, l’automobile ou encore le textile.
Ce déséquilibre est partiellement atténué par deux leviers majeurs: les recettes du tourisme, estimées à 112 milliards de dirhams en 2024, et les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), qui atteignent 118 milliards de dirhams sur la même période.
Discours gouvernemental et… chantiers Royaux
Tout cela est quelque peu dilué dans le discours gouvernemental portant sur les grands chantiers couplés avec des réformes d’ampleur comme celle de l’État social et des mesures qui le déclinent. Sauf qu’il faut préciser que c’est là une vision Royale: elle est conduite avec une forte dose de volontarisme du Souverain. Qu’on le sache, il n’y avait pratiquement rien de tous ces projets structurants dans son programme d’investiture en octobre 2021!
La question de principe qui devrait se poser et qui taraude des secteurs de l’opinion publique est peut-être celle-ci: ce chef de gouvernement est-il le mieux placé pour réaliser les réformes annoncées, initiées ou en cours?
Autant de réformes annoncées, mais constamment reportées, remises à plus tard, voire écartées du débat: la révision du Code pénal, la lutte contre la corruption – alors que le Maroc se classe au 120ème rang mondial –, la réforme fiscale, l’instauration d’une politique des revenus plus équitable, la refonte du système éducatif pour en améliorer l’efficience, sans oublier la transition numérique, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, ou encore l’autonomie des universités. Autant de chantiers structurels toujours en suspens.
Annonces et promesses suffiront-elles encore? Sont-elles seulement audibles (et crédibles) aux yeux de citoyens désormais plus informés, plus critiques, et davantage politisés à l’ère des réseaux sociaux?
Le véritable risque réside dans le fossé qui se creuse entre la rhétorique officielle du gouvernement et la réalité des attentes, des besoins et des aspirations d’une société en mutation. Dans ces conditions, la réhabilitation de l’action politique (et, plus largement, du politique) demeure incertaine.
L’échéance de 2026 s’annonce-t-elle comme la «mère des batailles»? Celle qui devra rompre avec le scepticisme ambiant, voire la défiance, pour enfin ouvrir la voie à l’édification d’un véritable projet de société?