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Energie : Et si on avait écouté SM Le Roi en 2009 ?

Par Dr Said GUEMRA Expert Conseil en Management de l’Energie


Les premières et dernières assises de l’énergie ont été tenues le 6 Mars 2009 regroupant toutes les catégories d’intervenants dans ce secteur. Cet événement a connu la publication d’un important message de Sa Majesté, et qui était une véritable feuille de route, afin de réaliser les objectifs énergétiques du Maroc, marqués par la montée en puissance des Energies Renouvelables, et l’instauration de l’efficacité énergétique pour rencontrer l’objectif du Maroc ; à savoir une réduction de 12% de sa facture énergétique à l’horizon 2020.



C’est la fin de 2020, ou en sommes nous avec ce rendez vous, 11 ans plus tard, et bien évidement, à la lumière de la feuille de route royale

Pour les énergies renouvelables, Sa Majesté disait en 2009 : (Paragraphe 14)
Si le charbon propre et l’éolien ont été choisis comme socle de notre production électrique, toutes les options restent, néanmoins, ouvertes notamment le recours au gaz naturel, à l’électronucléaire, et au solaire de puissance, lorsque les conditions économiques et technologiques et les critères de sécurité de leur approvisionnement et de leur compétitivité seront remplies. (Fin du paragraphe de Sa Majesté).

Au moment de ces assises, nul ne parlais de production électrique à concentration : parabole et tour, qui sont des technologies de laboratoire, et il était attendu que cette augmentation de la part des renouvelables se fasse majoritairement à base d’éolien comme recommandé par le Souverain, dans la mesure ou à l’époque, l’éolien avait presque atteint la parité réseau : 0,6 Dh/kWh pour un investissement moyen de 1,6 M$/MW, et un facteur de charge, ou un rendement allant de 35% à 70% selon la région.  Il faut également reconnaitre que le prix de l’éolien a connu de très fortes spéculations sur la période 2005-2015.

Quelques semaines plus tard, la nouvelle du plan solaire marocain tombe d’un coup.

Plus tard le document d’appui de la banque mondiale P-ESW 113768 Décembre 2013, disait : Le programme solaire marocain vise l’installation d’une capacité de 2000 MW d’énergie solaire essentiellement du CSP à l’horizon 2020, avec un cout estimé à 9 milliards de dollars : soit 8,7% du PIB de 2015. Cela devrait permettre environ 4500 GWh par an à partir de 2020 et éviter environ 3.2 Millions de Tonnes de CO2.

Le facteur de charge global du projet serait de 25,6%.

En divisant l’investissement par la puissance, il s’agit de faire investir au Maroc, « essentiellement en CSP » 4,5 M$/MW, soit 3 fois plus que l’éolien.  On veut bien investir 3 fois plus au MW, mais pour obtenir quoi ?

Le tableau qui suit, reprends les données des quatre projets solaires de Ouarzazate, en comparaison avec deux projets éoliens réalisés au Maroc.  Ces projets sont généralement conclus entre 2012 et 2015.

 

Pour uniformiser les données, on présente l’investissement par unité de puissance en MDh/MW.  Les projets solaires à concentration sont en moyenne à 45 MDh/MW, suivi de l’éolien à une moyenne de 16,5 MDh/MW, et le photovoltaïque vers les 10 MDh/MW.
L’investissement par unité de puissance ne suffit pas pour comparer deux technologies, il faut connaitre la production par unité de puissance pour mieux saisir la différence. Pour cela, nous faisons appel à la notion du facteur de charge : qui est le rapport entre la production de la machine, à sa production théorique, comme si elle fonctionnait à pleine puissance 8760 heures par an : C’est l’élément fondamental de rentabilité de tout projet de production électrique.

Nous savons que le facteur de charge du photovoltaïque au Maroc, varie entre 20 et 25%, celui de l’éolien pour des zones ventées varie entre 35% et 70%.  Reste à connaitre le facteur de charge du solaire à concentration. Dans ce cas de figure, nous adoptons les facteurs de charge minimums.

Nous n’avons jamais pu disposer des productions par centrale solaire marocaine, ca reste un secret de polichinelle : le chiffre global est communiqué, mais on ne sait pas qui des trois technologies produit quoi.  La littérature n’est pas très bavarde à ce sujet.
Afin de disposer de chiffres exploitables, et si on n’arrive pas à avoir des données du coté vendeur, il faut les chercher du coté acheteur, en l’occurrence l’ONEE.  Le très respecté Pr Amine Bennouna, nous dit dans son bilan électrique national, que les 707 MW du solaire marocain ont produit 857 GWh en 2018, ce qui veut dire un misérable facteur de charge de 13,83 % ! contre 25,6% présenté pour le projet solaire essentiellement CSP comme dit la banque mondiale dans son document d’appui, ca va du simple au double ? sans compter la petite amélioration du projet photovoltaïque Nour 4 de 72 MW.

De son coté Wikepedia assure un facteur de charge de 29,5% pour la station Nour 1 avec des données mensuelles de l’année 2017.  A la publication de ce facteur de charge comparé aux données du Pr Bennouna, un commentaire sur Linkdin disait que c’est tout simplement l’œuvre d’un stagiaire qui a communiqué de faux chiffres à Wikepedia. Qui dit vrai, et dit faux ? Ce qui veut dire que le solaire CSP à 29% serait nettement plus productif  que le photovoltaïque à 20% !

La solution de cette énigme, nous vient tout simplement de Masen.  Elle assure vouloir améliorer le rendement de Nour Midelt 300 MW CSP par une centrale photovoltaïque de 500 MW. Ce qui veut dire  que le facteur de charge du CSP est au plus inférieur au facteur de charge du photovoltaïque qui est à 20%. Si le facteur de charge de Wikepedia est vrai, comment améliorer un système qui tourne à 29,5% de facteur de charge, par un système photovoltaïque qui tourne à 20% ?

Le projet Midelt nous confirme bien un facteur de charge très bas de Nour 1 : mesuré sur les compteurs de l’ONEE.  Qui a donné ces chiffres à Wikepedia ? on ne le saura peut être jamais.  Et puis quel est l’intérêt de Wikepedia de présenter le double des productions réelles de la centrale Nour 1 ? Ces données sur les productions mensuelles de Nour 1, ont purement et simplement disparu du site de Wikepedia, mais le document imprimé existe.

Pour un investisseur qui ne connait rien à l’énergie, on va lui dire vous allez investir 43 MDh/MW pour obtenir 1314 MWh si vous investissez dans le solaire à concentration. Un deuxième propos : vous allez investir 16,7 MDh/MW dans l’éolien, soit trois fois moins, et vous allez obtenir 3000 MWh au minimum, soit plus de deux fois la production du CSP.  S’il accepte la première proposition, c’est qu’il cherche à se suicider, et je crois que c’est bien ce que nous avons fait !

A la même époque des grandes décisions du solaire en 2012, le projet éolien de Tarfaya proposait 0,64 Dh/kWh, quand le prix du projet solaire à partir de 2015 pour les 4 stations, culminait entre 1,36 et 1,62 Dh/kWh.  Le cout actuel pour un dollar à 10 Dh, au lieu de 8 Dh à l’époque, ce qui veut dire 2 Dh/kWh pour Nour 1. Le contrat d’achat étant libellé en dollar : 19 Cts $/kWh.

Alors que le cout de production du kWh national serait 0,50 Dh/kWh (Ministre de l’énergie Economiste 14 Novembre 2014), et de 0,79 Dh/kWh selon le rapport du CESE. La encore on ne sait pas qui croire, mais ONEE vend son électricité à une moyenne de 0,7 Dh/kWh aux régies, 0,9 Dh/kWh aux industriels, et 1,1 Dh/kWh aux domestiques, on voit mal ONEE travailler sans marge opérationnelle, même si l’office est déficitaire à plus 55 Milliards de Dirhams.  Le chiffre de 0,5 Dh/kWh semble plus proche de la réalité, le document d’appui de la banque mondiale parle d’un cout du kWh solaire, deux à trois fois plus que le cout de production, nous sommes bien dans cette logique, c’est bien trois fois plus.

Résultat du parcours, Masen, c’est une dette structurelle de 20 Milliards de Dirhams, et un déficit estimé de 800 MDh/an pour subventionner le kWh solaire principalement CSP, c’est la subvention entre Acwa et Masen (1.36 et 1.62) soit une moyenne de 1,49 Dh/kWh et le prix de vente de cette électricité entre Masen et ONEE qui serait de 0,85 Dh/kWh selon le CESE, soit un écart de 0,64 Dh/kWh.  Mais si le cout de production de ONEE est à 0,5 Dh/kWh, cette dernière accuserait une seconde perte de 0,35 Dh/kWh, soit une perte additionnelle de l’ordre de 400 MDh/an.  La perte pour la nation serait de 1,2 MMDh/an, pour 700 MW. Que sera ce déficit pour 2000 MW prévu pour la totalité du plan solaire marocain. Plus le soleil brille, et plus on perd de l’argent….sur 20 ans.
Comment un pays comme le Maroc qui est à moins de 0,25% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, qui est à moins de 2,5 Kg de CO2/habitant/an, qui ne fait pas partie des pays de l’annexe (ceux qui ont l’obligation de réduire les émissions CO2), peut il s’engager avec une telle intensité au détriment de son économie ? Alors que personne ne l’oblige ! Masen a prévu dans l’une de ces présentations un potentiel de vente des certificats carbone de 3 Milliards de Dh/an. Ou sont ces milliards, et combien de tonne de CO2 avons-nous vendu ?

Est-ce que nous serions arrivés à ce point, si les directives royales de 2009 étaient appliquées ?  Dans sa grande sagesse, Sa Majesté disait que le socle de notre production était l’éolien, et le recours à d’autres technologies ne peut être fait que lorsque les conditions économiques et technologiques..de leur compétitivité seront remplies.  En 2012 le kWh éolien était proche de la parité réseau : 0,64 Dh/kWh, et en 2015 date de démarrage du CSP, ce même kWh était à 0,3 Dh/kWh, soit 5 fois moins le cout du kWh solaire….Et si on avait écouté Sa Majesté en 2009 ?

Dans une tentative d’éponger les déficits de Masen, la décision a été prise afin de transférer tous les moyens de production renouvelables de l’ONEE vers Masen, et priver l’ONEE de ses moyens de production les moins couteux, dont la majorité est amortie, très particulièrement les barrages. Ce qui va creuser encore plus son déficit de plus de 50 MMDh, c’est comme si vous virez un chauffeur de 50 ans d’expérience, et vous le remplacez par un débutant. 

ONEE c’est 18000 personnes très expérimentées avec une excellente tenue du réseau national.  Le Maroc dispose de l’un des réseaux les plus stables et les propres (THD en terme électrique) de la région MENA, et la gestion des quelques centaines de MW solaire ne lui  poserait aucun problème. Il a fallu opérer le transfert dans le sens inverse, de Masen vers ONEE, et trouver une solution pour avoir une seul structure boiteuse, au lieu de deux ; mais malheureusement nous avons pris un abonnement en matière de création de structures publiques déficitaires. 

Toujours au niveau du document d’appui, la Banque mondiale dit : Le programme solaire marocain contribuera à accélérer la réduction des couts de la technologie solaire et à son développement à grande échelle dans la région. (Fin) Avons-nous les moyens de contribuer à la réduction d’une technologie quelconque: oui on a les moyens : en aggravant le déficit public !

Nour Ouarzazate est un laboratoire ou on confronte trois technologie différentes : Le CSP, la Tour, et le photovoltaïque : C’est un choix expérimental, et non un choix économique avec un souci de rentabilité. Ce qui explique aussi, le fait qu’aucune donnée de la production par centrale, et par mois n’est communiquée au public, ceci peut porter préjudice aux fabricants ! On ne sait toujours pas si la tour Nour 3 mise en service en Aout 2018, marche ou ne marche pas, en raison de problèmes de synchronisation ?  La communauté scientifique aurait souhaité disposer des productions journalières, puissances…les photos sont effectivement très jolies.
C’est bien l’argent du contribuable, et ce dernier demande plus que des photos. Ces qui est triste aussi, c’est qu’aucun parlementaire n’a posé cette question névralgique, sur un projet qui coute plus de 90 MMDh, et un déficit annuel minimal de plus de 1 MMDh/an (A valider).

De grands efforts de recherche dans le monde, tendent à rendre les deux premières technologies plus compétitives par rapport au photovoltaïque, pour se positionner à 12% de la production mondiale d’ici 2050. Il fallait nous le dire, notre pays est ouvert à la recherche scientifique et à l’amélioration technologique, on aurait testé ces technologies dans nos régions du sud, avec un budget ne dépassant pas les 10 M$, et on aurait donné les résultats à qui de droits, mais nous faire investir plus de 24 MMDh pour les 560 MW de ces trois technologies, pour dire que nous avons la plus grande centrale solaire au monde, et que nous sommes classés en troisième position des pays qui ont fait le plus pour le climat, ces deux petites phrases sont très cher payées.

Le CESE a réalisé un excellent rapport, de part son autorité il a pu disposer d’un autre de grandeur du déficit Masen de 800 MDh/an, qui est un chiffre minimal.  Le CESE n’a pas non plus été convaincu par l’histoire de 3 heures de stockage le soir dont on ignore tout : Si on avait opté pour l’éolien, ces dernières produisent également le soir. Il a entre autre recommandé de ne plus travailler avec le CSP, en parfaite contradiction avec la banque mondiale qui impose le CSP, et au diable le déficit de la nation !

Au final, il faut regarder la réalité en face, et indépendamment des chiffres, en posant la question simple : pourquoi aucun privé n’a jamais investi dans le solaire à concentration ? et pourquoi le contribuable marocain l’a fait ? Comment les responsables de l’époque ont osé dire que l’électricité sera moins chère avec le projet solaire, alors qu’ils la subventionnent aux 2/3.  Ou sont l’honnêteté, l’intégrité, et la compétence des responsables du secteur de l’énergie de l’époque : alors que la feuille de route royale était très claire ? Ceux qui continuent toujours à crier sur les toits qu’ils ont réussi avec éclat le projet solaire, de quel éclat parlez vous ?

Le problème c’est que la banque mondiale continuera son forcing sur le Maroc pour augmenter les puissances du CSP, pour servir de démonstrateur R&D dans une optique de baisser les couts,  afin d’améliorer cette technologie, ce qui n’est pas du tout notre rôle, ce sont les grandes puissances qui à 20 ou 100 fois notre PIB qui doivent subventionner la R&D du solaire à concentration. 

Pourquoi allons-nous subventionner les 2/3 du cout d’une technologie immature ?  Il faut aussi dire que nous nous sommes lourdement trompés, et qu’il va falloir corriger, sanctionner, demander des indemnisations à ceux qui nous ont induit en erreur. Il y’a un travail monstre à réaliser sur ce plan. Combien de Milliards de $ allons nous encore investir juste pour arriver au zéro des énergies renouvelables.

Par Dr Said GUEMRA
Expert Conseil en Management de l’Energie



Lundi 21 Décembre 2020


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