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Entretien avec Mounia Belafia, écrivaine et journaliste


le Dimanche 13 Juin 2021

« Hors les murs », la dernière pièce de théâtre de Mounia Belafia

Mounia BELAFIA, l’écrivaine et journaliste marocaine sort « Hors les murs », une pièce de théâtre inspirée de ses rencontres avec des immigrés clandestins. Elle y retrace des destins, des chemins et des univers certes différents, mais qui se croisent dans la souffrance, la douleur et l’espoir avorté...
Elle a choisi 5 personnages qui, dans leurs fuites de la misère, des guerres, de la répression, des traditions, des religions..., se sont heurtés aux murs qui ne cessent de se multiplier… Des murs qui leur ôtent l’espoir et même la vie…

Mounia Belafia est écrivaine et journaliste, titulaire d’un doctorat en « Cinéma et audiovisuel » de la Sorbonne et d’un master II, spécialité en Arts de la scène de l’université Paris. Elle a à son actif plusieurs pièces de théâtre dont « La fille qui… », « Des couples et des masques », des recueil de nouvelles (« Doumya wa daiira », « Une poupée et un cercle »…



Entretien avec Mounia Belafia, écrivaine et journaliste

Lodj : "Hors les murs" est une pièce de théâtre qui parle de l'immigration clandestine, pourquoi un tel sujet ?
 
Mounia Belafia : Le sujet de l’immigration s’impose comme il s’est toujours imposé au fil des temps, l’Histoire de l’être humain étant une succession d’immigrations, malheureusement, de nos jours, nous assistons au quotidien à  des drames de par le monde. On s’y intéresse de moins en moins parce qu’à force de les voir, on les normalise d’une certaine manière. Peut-être aussi parce que les médias donnent plus d’intérêt aux déclarations, « en langue de bois » d’ailleurs, de politiciens et s’intéressent moins à l’être humain. Tout se résume, en termes d’êtres humains à des chiffres et l’on oublie que derrière chaque émigré, il y a toute une histoire et un monde qui s’effondre quand cet émigré meurt ou se perd quelque part, sans que sa famille puisse savoir où il est.

C’est un sujet qui m’a beaucoup interpellée, encore plus quand j’ai vu énormément d’images qui circulent sur ces murs qui sont en train d’être érigés, encore et encore, dans plusieurs zones du  monde. On en  dénombre 64, d’autres sont en cours construction et il y a des projets de murs qui vont séparer les frontières. Seulement, ils ne servent qu’à séparer encore plus les êtres humains et à pousser des gens au désespoir. Ces images de gens accrochés aux barbelés et aux grillages, en train de rêver de pouvoir aller de l’avant ou peut-être revenir en arrière. Là où ils ont laissé une  famille, dans un pays qu’ils ne détestent pas mais qu’ils étaient obligés de quitter. Ils rêvent juste d’un monde meilleur. C’est ce qui m’a poussé à faire un arrêt sur image, à travers une pièce de théâtre qui puisse montrer l’histoire qui se cache derrière tous ces gens.

La pièce raconte l’histoire de 5 personnages, Fartuun, Zaytuun, Sadou, Nelson et Abdel Malek. C’est une pièce basée sur des témoignages plus ou moins retravaillés et résumés, que j’ai pu récolter auprès d’émigrés clandestins. J’ai crée des  personnages de fiction, mais basés sur des réalités qui reflètent une partie de leurs souffrances.
 

Lodj : Qu'en est-il de la migration féminine ?

M. B. : L’émigration féminine est à l’image de l’émigration masculine. Beaucoup de femmes émigrent clandestinement de nos jours. Elles sont obligées, vue la situation de leurs pays : pauvreté, guerre, conflits, répression politique mais aussi répression idéologique constituée par les traditions, la religion ou autres. C’est une spécificité plutôt féminine.  Elles en souffrent et prennent la route de déserts, forêts et mers pour fuir cette répression au quotidien. C’est une tendance qui est de plus en plus en hausse.

Ce que j’ai remarqué pendant mes entretiens et ma recherche, c’est que pendant le trajet, s’il y a des souffrances communes aux hommes et aux femmes, ces dernières sont exposées à différentes formes de violences, notamment le viol. Enormément de femmes l’ont subi en cours de route, attesté aussi via les statistiques. Autre remarque, c’est que la plupart des mères refusent de quitter le pays sans leurs enfants alors que beaucoup d’hommes le font. Il s’ensuit parfois un drame, des enfants ne supportant pas la route perdent la vie.
Dans la pièce de théâtre « Hors les murs », je parle de l’exemple Fartuun, une émigrante qui a perdu un fils en cours de route et qui a dû l’enterrer dans le désert. La fille qui lui reste constitue son espoir pour l’avenir. Fartuun est à l’image de ces femmes réprimées : économiquement parce qu’elle est pauvre, par la tradition du fait qu’elle soit une femme obligée d’accepter énormément d’exigences de la société : se marier très tôt, ne pas rester veuve, ne pas divorcer... Elle était mal vue dans la société et traitée de prostituée parce qu’elle a refusé de se marier avec le frère de son mari défunt. C’est l’une des raisons d’ailleurs qui l’ont poussée à s’éloigner de là où elle habitait.

 
Lodj : Vous êtes une fervente militante de la cause des femmes. Des progrès réalisés au niveau du Maroc mais...
 
M. B. : La situation des femmes, dans le monde, en général, a connu une grande évolution mais avec des différences et une certaine relativité, dans le temps et dans l’espace.

Dans l’espace, en matière de diversités géographiques, il y a des régions au monde qui ont connu un grand développement et d’autres pas. Pour ce qui est du temps, les acquis d’aujourd’hui ne sont pas vraiment acquis à  jamais, ils restent vulnérables et c’est cette problématique qui se pose par rapport aux droits des femmes. Cette vulnérabilité qui les accompagnent fait qu’il ne faut pas arrêter, lâcher prise et passer à autre chose. Il faut toujours chercher ses droits et assurer leur protection. Quand il y a une régression politique dans un pays, les premières personnes attaquées et touchées sont les femmes. Cela s’est vu en Lybie, en Syrie, au Mali, au Sahel, avec Boko haram, Daech, Al Qaida, les islamistes qui ont pris possession du pouvoir dans des pays arabes….Plusieurs  lois ont été retirées des parlements, il y a eu des régressions par rapport aux droits des femmes et des discussions qui mettaient en doute tous ces droits. Je pense qu’il faut rester vigilant devant tout  développement et rester en alerte face à ces situations. C’est ce genre de situations que je « calque »  sur le Maroc.

Le Maroc connait de grands progrès mais qui restent aussi relatifs dans l’espace et dans le temps parce que la femme marocaine qui vit dans de petits patelins n’est pas celle qui vit à Casablanca, Tanger ou Rabat. Les femmes n’ont pas tous accès à l’école, à l’éducation, aux richesses du pays, à la culture…La féminisation de la pauvreté reste une réalité. Aussi, il y a plusieurs lois injustes et discriminatoires envers les femmes, à titre d’exemple, les réglementations bancaires. Une femme ne peut pas ouvrir un compte bancaire à ses enfants, un compte sur carnet, mais elle peut l’alimenter, et c’est le père qui peut en retirer de l’argent. Nous avons besoin de lutter contre ces lois discriminatoires et pour préserver les acquis.


Lodj : Vous êtes franco-marocaine, vous vivez entre deux pays, on n'oublie jamais ses racines, dit-on ?
 
M. B : Effectivement, je vis en France mais je n’ai jamais cessé de vivre aussi au Maroc. J’y vais assez souvent, presque à toutes les vacances. Je garde le contact avec tout ce qui se passe au Maroc, j’y ai ma famille et je reste marocaine. Le Maroc est très présent dans les détails de ma vie, je le porte au fond de moi-même. Etre en France est pour moi une source de richesse, une possibilité d’ouverture au quotidien et cela me permet d’écrire peut-être autrement. Je pense que si j’étais restée au Maroc, j’allais continuer à écrire, mais d’une autre façon. C’est une chance pour moi que de pouvoir vivre entre deux civilisations aussi ancestrales et riches que diverses.
 

Lodj : Que vous confère ce genre d'écriture : pièce de théâtre, qui n'est pas donné à tous les écrivains ?
 
M. B : Au fait, le théâtre est pour moi un moyen d’expression formidable qui a beaucoup d’atouts. Il a la capacité de me donner la possibilité d’imaginer tout ce que je veux. Il permet aussi à celui qui lit la pièce, ou la regarde, d’imaginer toutes les situations qui sont racontées par les personnages. Il donne ainsi l’occasion à une grande majorité de spectateurs, de participer d’une manière très active au récit.
Le théâtre est un art très ancien qui n’a jamais, à mon sens, perdu de sa magie. Si aujourd’hui, on ne s’y intéresse pas autant, il reste tout de même l’un des arts qui ont un contact direct avec le public,  et je pense que nous avons besoin de cela.
Il y a une certaine clairvoyance qui se produit dans un théâtre, même à travers la lecture de la pièce de théâtre. Personnellement, si j’ai fait des études de théâtre, un master en art de la scène, et si j’ai donné beaucoup d’intérêt au théâtre dans mes écrits, c’est parce que je crois en sa magie. Mais bien entendu, cela ne m’empêche pas de m’intéresser aux romans, aux nouvelles et au cinéma.
 
 
Lodj : Quelle est votre prochaine étape, côté littéraire ?
 
M. B. : Actuellement, je suis en train de préparer la pièce de théâtre : « La fille qui… », parue en France en 2019. C’est une adaptation de la pièce et non pas vraiment une traduction, qui va sortir prochainement en arabe. J’ai aussi terminé l’écriture d’un roman que j’ai laissé « reposer » pendant quelques mois avant de décider de son sort. C’est ce que je fais généralement de mes écrits. J’y reviens et si je suis vraiment convaincue que cela mérite d’être publié, je le fais, sinon, je passe à autre chose. Et puis, j’ai un travail de recherche en cours, depuis quelques mois qui vise à lancer une grande initiative au Maroc. Je préfère ne pas en divulguer les détails pour le moment.





Dimanche 13 Juin 2021

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