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L’industrie automobile marocaine se prépare à deux nouveaux virages d’ordre écologique et numérique


Dans un entretien accordé à la MAP, Hicham Sebti, professeur en Sciences de gestion et Directeur Euromed business School, se fait écho des prouesses de ce secteur et explique les enjeux à même de permettre au Maroc à se repositionner dans ce nouvel ordre mondial.



Écouter le podcast en entier :


Industrie automobile et nouvelles reconfigurations : 3 questions à l’expert Hicham Sebti

1- Les chaînes d’approvisionnement subissent de différentes perturbations et d’énormes pressions, dans le monde. Quels scénarios d’impact pouvez-vous dresser sur l’économie marocaine, de manière globale, et sur le secteur automobile, en particulier ?
 

La pression sur les Chaines de Valeurs mondiales vient d’une succession rapide de crises, dont les effets se conjuguent et s’amplifient mutuellement. D’abord, la crise sanitaire de la covid qui a stoppé les flux industriels et commerciaux, avant une reprise forte de la demande que l’offre ne pouvait pas suivre. Donnant lieu à une pénurie sur les marchés des matières premières, des micro-processeurs, des conteneurs de transport maritime et un renchérissement des prix.
 

Ensuite, les crises géopolitiques de la guerre en Ukraine et des tensions Sino-taiwanaises ont accentués les pressions, notamment sur les marchés de l’énergie et des produits manufacturés semi-finis.
 

Les effets de ces crises sur le secteur automobile marocain sont contrastés. D’une part, l’Association des importateurs de véhicules au Maroc reporte une baisse importante des ventes de voitures neuves sur le territoire national, de l’ordre de 11% sur le 1er semestre de l’année 2022. Ce recul est dû aux effets combinés de la raréfaction d’un certain nombre d’intrants, du rallongement des délais de livraison et de l’inflation importée des prix.
 

Mais d’autre part, le secteur automobile a fait preuve d’une très forte capacité de résilience en matière de production et d’export. Les indicateurs des échanges extérieurs de l’Office des changes affichent des exportations en progression de plus de 30%, atteignant 52,84 milliards de dirhams (MMDH) au premier semestre de l’année 2022.
 

La structuration du système industriel national de l’automobile en écosystèmes denses, associée aux mesures prises au cœur de la crise sanitaire et aux dispositifs du Plan de Relance Industrielle 2021-2023 ont permis cette résilience et autorisent le Maroc à rester optimiste en maintenant les objectifs de croissance des exportations et d’atteinte d’un taux d’intégration du secteur de 80%.
 

2- Comment le Maroc pourrait-il tirer profit de ces perturbations, mais aussi des différentes opérations de relocalisation opérées par des géants mondiaux de l’automobile ?
 

Il faut regarder la situation dans son ensemble, pour avoir la “global picture”. La crise du Covid-19 a révélé la vulnérabilité des chaînes de valeurs mondialisées et fragmentées entre les espaces de production et les espaces de consommation.
 

Mais par-delà la crise conjoncturelle, les grandes entreprises industrielles, notamment européennes, ont compris que le modèle des chaînes de valeur étendues et interdépendantes porte des vulnérabilités structurelles de natures économiques (hausse des coûts salariaux en Asie et des coûts de transports), politiques (résurgence du protectionnisme et du discours sur la souveraineté industrielle) et sociétales (aspirations à de nouvelles formes de consommation plus durables).
 

Cela veut dire que, comme souvent, la crise sanitaire n’a été que le révélateur et l’accélérateur de mouvements de transformations plus structurelles portées par la transition écologique, la transformation digitale et le rééquilibrage des puissances mondiales.
 

La guerre russo-ukrainienne a accru la sensibilité des grandes entreprises industrielles aux risques géostratégiques. Un nombre important de multinationales installées dans la région ont adopté un comportant de “flight to safety” en déplaçant leurs activités de la zone de conflit vers des espaces plus stables politiquement, comme le Maroc.
 

C’est dans ce contexte complexe et mouvant que le Maroc doit agir pour tirer parti des mouvements de restructuration des chaînes de valeur.
 

Dans un scénario de relocalisation régionale dans lequel les entreprises ré-agencent leurs systèmes de production et ceux de leurs fournisseurs partenaires autour de chaînes de valeur dédiées à des marchés géographiques régionaux, le Maroc pourra se positionner comme acteur majeur dans un espace Euro-Méditerranée-Afrique à deux conditions.
 

Premièrement, aux attentes d’attractivité en matière institutionnelles, de ressources humaines, matérielles et énergétiques.


Deuxièmement, construire des écosystèmes résilients fondés sur “la redondance” (l’accès à des capacités de fabrication supplémentaires au risque de la surcapacité), “la diversité” (l’accès à plusieurs sources d’approvisionnement) et “la modularité” (l’aptitude à reconfigurer un système et à recombiner des ressources) des systèmes de production.
 

Le Maroc jouit d’avantages compétitifs qui l’autorisent à revendiquer une position stratégique, notamment dans le cadre de la nouvelle politique européenne de voisinage. Les principaux arguments du Maroc pourraient être présentés comme suit :
 

– Paix, stabilité et sécurité : Le Maroc est considéré comme un pays stable tant sur le plan politique qu’économique, ce qui renforce sa position de pôle de développement dans la région.

– Transition verte : le Maroc s’est engagé dans une stratégie ambitieuse en matière de développement durable. Il s’associe a l’initiative de green deal européenne 2021, le Maroc et l’Union européenne pour faire des deux parties des économies sobres en carbone, résilientes au changement climatique et sûres en termes de besoins énergétiques. Le plan marocain des énergies renouvelables, positionne le pays comme l’une des industries bas carbone les plus compétitives au monde. Le Maroc vise à obtenir 52% de son électricité à partir de sources d’énergie renouvelables d’ici 2030.

– Croissance inclusive : le nouveau modèle de développement et le projet de généralisation de la protection sociale témoignent de de l’engagement du royaume en faveur d’une croissance inclusive.

– Transformation numérique : En janvier 2022, le Maroc a lancé l’initiative Morocco-Tech. Cette marque nationale vise à promouvoir le secteur numérique marocain et à positionner le Maroc comme une destination numérique. Il vise également à créer une dynamique globale qui accompagnera les écosystèmes marocains dans leur transformation numérique.


3- Concrètement, dans quelle mesure la pénurie de certains intrants pourrait-elle pénaliser l’industrie automobile marocaine ? Selon vous, comment peut-on pallier cette crise de matières premières stratégiques, au niveau national. L’électrique, ferait-il partie de la réponse ?
 

La question de la pénurie est probablement un problème conjoncturel qui devrait s’ajuster via les mesures prises par les banques centrales pour ralentir les machines économiques et la montée en charge des nouvelles capacités de production de matières premières et de produits manufacturés au niveau mondial.
 

Le vrai sujet pour l’industrie automobile marocaine est celui des choix en matière de positionnement stratégique dans la nouvelle industrie de la mobilité.
 

Les transitions écologique et digitale modifient radicalement la répartition de la valeur entre les acteurs de l’industrie de la mobilité. Deux évolutions majeures contribuent à cette nouvelle répartition de la valeur et dont le Maroc pourrait tirer profit.
 

La première évolution est la croissance attendue du marché des véhicules électriques, qui met le sujet de la batterie au cœur de l’organisation du système industriel de l’automobile. La batterie représentant entre 30% et 40% de la valeur globale d’un véhicule électrique.
 

Selon un récent rapport publié par le Middle East Institutes’s Economics and Energy Program, le Maroc pourrait se positionner comme acteur majeur de la mobilité verte, grâce à ces avantages compétitifs :
 

– L’existence d’un écosystème industriel structuré autour de grands constructeurs mondiaux engagés dans la transition écologique et la production de véhicules électriques ;

– Les réserves de minerais critiques à la production des batteries, comme le cobalt, dont dispose le Maroc. Plus particulièrement, le développement des batteries dites LFP (Lithium – Fer – Phosphate) permet au Maroc de prétendre à une position d’acteur mondial de la batterie pour véhicules électriques, tant le royaume bénéficie de réserves importantes et d’une expertise d’extraction et de transformation du phosphate.
 

Ceci étant dit, il serait inopportun pour le Maroc de tourner le dos à la production de véhicules à moteurs thermiques. Car, si l’Europe a effectivement acté la fin de la vente de moteurs thermiques, ce marché garde un potentiel fort, pour l’équipement des marchés émergents, notamment en Afrique. Tout l’enjeu pour le Maroc est de faire coexister les deux écosystèmes.
 

La seconde évolution majeure est la transformation numérique de la mobilité.


Les experts internationaux s’accordent sur l’idée que le développement de la voiture intelligente accroîtra la valeur des services digitaux de mobilité au dépend de la valeur du véhicule.
 

Le défi pour l’industrie automobile marocaine réside dans alors l’émergence de deux nouveaux écosystèmes. Un écosystème de l’ingénierie des systèmes embarqués capable de fournir les dispositifs intégrés dans les véhicules produits au Maroc et à l’étranger.
 

Un écosystème de strat-up des services digitaux qui collectent et exploitent la data produite par les véhicules intelligents et offrent des services de mobilité durable et intelligente, au service des usagers et des industriels.
 

Pour relever ce défi, la convergence industrie – recherche et le développement des dispositifs d’accompagnement et de financement des strat-up innovantes sont plus que jamais essentiels.


Avec mapfinance.ma/




Mercredi 26 Octobre 2022


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