Plus de soixante-dix ans plus tard, ce rituel hollywoodien ressurgit sous le hashtag #MarilynPerfumeHack, accumulant des centaines de vidéos où des jeunes femmes vaporisent leur front à grand renfort de promesses : « l’odeur dure toute la journée », « ça attire l’attention », ou encore « c’est comme un voile de sensualité ».
Mais au-delà du clin d’œil vintage, cette tendance interroge : que révèle-t-elle de notre rapport à la beauté, et surtout, des sacrifices qu’on accepte encore aujourd’hui pour répondre aux standards féminins ?
Un mythe glamour transformé en mauvaise idée virale
Ce qui peut sembler anodin ou stylé n’est en réalité pas sans risques. Car non, les sourcils ne sont pas une zone adaptée à l’application de parfum. Proches des yeux, ils constituent une région particulièrement sensible. L’alcool et les allergènes présents dans la majorité des parfums peuvent irriter la peau, dessécher les poils, voire provoquer des réactions cutanées.
Mais sur TikTok, la viralité semble l’emporter sur la prudence. On glorifie le geste comme un rituel de séduction rétro, sans s’interroger sur sa pertinence, ni sur les dangers qu’il implique.
Quand la beauté devient sacrificielle
Ce phénomène n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une logique bien connue de l’esthétique sacrificielle : cette idéologie silencieuse qui valorise la douleur, l’inconfort, voire les risques, tant qu’ils mènent à une apparence désirable. Se parfumer les sourcils devient alors un énième rappel que, pour les femmes, être belle reste souvent synonyme de souffrir un peu.
Talons vertigineux, épilations méticuleuses, régimes drastiques, maquillage longue tenue… Les injonctions à l’effort esthétique sont omniprésentes. Cette tendance TikTok ne fait que prolonger cette culture du « tu dois le mériter » : mériter d’être belle, mériter d’être sentie, mériter d’être regardée. Même si cela implique de fragiliser son corps pour quelques secondes d’attention.
Un fantasme de féminité qui pèse lourd
Ce n’est pas un hasard si la figure de Marilyn Monroe est convoquée ici. Icône glamour par excellence, elle incarne un idéal de sensualité éternel. Mais on oublie souvent à quel prix. Réduire Marilyn à un “beauty hack” TikTok, c’est nier la violence symbolique qu’elle a subie : hypersexualisation, pressions esthétiques, objectification. Elle ne se parfumait pas les sourcils pour le plaisir, mais parce qu’on attendait d’elle qu’elle sente bon, de la tête aux pieds — même derrière les genoux.
Dans un monde où les hommes peuvent encore se réclamer « naturels » avec du déodorant 48h, cette nouvelle tendance souligne cruellement que les exigences envers le corps féminin restent profondément inégalitaires.
Et si on arrêtait de transformer chaque geste en injonction ?
Finalement, cette tendance n’a rien d’innocent. Elle incarne une nouvelle manière d’enfermer les femmes dans des pratiques superficielles, sous couvert de nostalgie ou de glamour. Car se parfumer les sourcils ne relève pas d’une envie personnelle, mais bien d’une norme sociale déguisée : celle qui pousse à être désirable partout, tout le temps, jusque dans les détails invisibles.
Il est peut-être temps de laisser cette astuce dans les archives de l’INA, et de repenser nos rapports à la beauté et à la féminité. Non, vous ne devez rien à l’œil (ni au nez) des autres. Et surtout pas le confort de vos sourcils.