Des arabesques aux ecchymoses : un choc visuel pour éveiller les consciences
Loin des motifs fleuris traditionnels, InkVisible détourne le henné pour représenter des blessures : un œil tuméfié, des lèvres fendues, des traces de strangulation. Le contraste est saisissant, dérangeant, et précisément voulu. Derrière le vernis des célébrations, une vérité crue : au Pakistan, une femme mariée sur trois est victime de violences physiques ou psychologiques.
Un chiffre glaçant, souvent passé sous silence, dans un pays où le poids des traditions pèse lourd.
Lancée lors de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, la campagne ne s’est pas contentée du digital.
Des affiches ont investi les rues des grandes villes pakistanaises, et des performances ont été organisées dans les marchés, les gares, les hôpitaux – autant de lieux où les femmes circulent, souvent sans accès direct à l’information.
Du henné de mariage à message d’alerte
L’un des coups de génie de la campagne réside dans son infiltration des mariages eux-mêmes. Des artistes formées par ONU Femmes ont été mandatées pour dessiner ces motifs engagés sur les mains des femmes, parfois discrètement, parfois ouvertement.
Une manière de glisser un message là où on ne l’attend pas, et de créer un moment de parole au cœur même du cercle familial.
Sur les réseaux sociaux, les visuels de la campagne ont été massivement partagés. Mais au-delà de l’émotion suscitée, l’impact est tangible : les appels à la ligne d’urgence nationale ont explosé. Pour la première fois, des femmes témoignent, demandent de l’aide, ou conseillent cette campagne à d’autres.
Une campagne qui s’adresse à toutes et à tous
InkVisible ne s’adresse pas uniquement aux victimes. Elle vise également les agresseurs – et ceux qui détournent le regard.
En bousculant une tradition aussi ancrée que le henné, elle force chacun à se positionner. C’est ce qui en fait une initiative d’une rare puissance.
Et parce que les réalités rurales ne sont pas les mêmes que celles des grandes villes, la campagne a aussi pensé à celles qui n’ont ni smartphone, ni accès aux médias.
Des cônes de henné vendus sur les marchés ont été imprimés avec le numéro d’urgence. Un simple geste, mais potentiellement salvateur.
Des parlementaires aux marchés : un mouvement national
Le succès de la campagne a dépassé les attentes. Certaines parlementaires pakistanaises ont arboré publiquement des motifs de blessures en henné sur leurs mains, dénonçant les violences conjugales dans les institutions elles-mêmes.
Leur message a été repris dans les médias nationaux, créant un effet boule de neige : discussions parlementaires, déclarations de soutien du Premier ministre, promesses de renforcement de la législation.
Un symbole esthétique s’est transformé en geste politique. Le henné, vecteur culturel fort, a révélé un malaise profond – et amorcé un changement.
Le pouvoir des traditions réinventées
InkVisible s’inscrit dans une tendance mondiale où l’art, la culture et les symboles locaux sont détournés pour faire passer des messages sociaux et politiques.
Au-delà de la campagne, elle pose une question essentielle : une tradition doit-elle servir à embellir le silence ou à briser les chaînes ? Le henné, utilisé ici comme arme douce, prouve qu’on peut réinventer les rites pour les mettre au service de la justice.
Le Pakistan a ouvert une voie. Espérons que d'autres pays suivront.