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Tribune : Face à face des politiques et des économistes




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​Pourquoi les politiques et les économistes ne doivent pas tout comprendre (et c’est tant mieux)

Dans le grand théâtre des affaires publiques, une dichotomie persiste : les hommes politiques, bien souvent, ne comprennent pas grand-chose à l’économie ni au fonctionnement des entreprises. En parallèle, les économistes, aussi brillants soient-ils dans leur discipline, se perdent souvent dès qu’ils mettent un pied dans l’arène politique. Et, contrairement aux apparences, cette séparation des rôles n’a rien d’une tare. Bien au contraire, elle est peut-être même salutaire.

Loin d’être une simple incompatibilité des compétences, cette distinction traduit des logiques fondamentalement différentes : l’une fondée sur le pragmatisme et la quête du pouvoir, l’autre sur la rationalité et les modèles théoriques. Dans une société où tout s’entremêle, vouloir qu’un économiste devienne un bon politicien (ou l’inverse) relève d’une illusion. Et si, au fond, ce cloisonnement était une nécessité ?

Le politique : un funambule entre les intérêts et les émotions

L’homme politique est avant tout un stratège. Son rôle n’est pas tant d’avoir une compréhension technique de l’économie que de savoir convaincre, fédérer et arbitrer entre des intérêts divergents. Il navigue dans une mer de contradictions, où l’économie n’est qu’un paramètre parmi d’autres.

Un dirigeant trop imprégné d’économie risquerait d’oublier une chose essentielle : la politique n’est pas une science exacte, mais un art du compromis. Gouverner, c’est trancher entre des décisions qui ne sont jamais parfaites. Or, un économiste, avec son approche fondée sur des modèles théoriques et des projections, peut être tenté de croire qu’il existe une solution optimale à tout problème. Mais dans la réalité politique, ce qui est économiquement rationnel peut être socialement inacceptable.

Prenons un exemple concret : les réformes du marché du travail. D’un point de vue purement économique, il serait rationnel de flexibiliser les contrats de travail pour dynamiser l’emploi. Pourtant, un tel choix peut provoquer une instabilité sociale, un rejet populaire et, au final, un blocage politique. C’est ici que le politique entre en scène : il doit tempérer l’évidence économique avec les sensibilités sociales, quitte à opter pour une solution imparfaite mais acceptable.

De plus, la politique est soumise à une temporalité électorale. Un économiste pourra prêcher des réformes à long terme, mais un dirigeant doit composer avec l’urgence du présent et l’impatience de ses électeurs. Là encore, ce qui semble économiquement sensé peut être politiquement suicidaire.

L’économiste : un théoricien face à une réalité chaotique

À l’inverse, si beaucoup d’économistes brillants échouent en politique, ce n’est pas par manque d’intelligence, mais parce qu’ils sont formés à raisonner dans un cadre où la logique prime sur le rapport de force. Or, la politique est tout sauf logique. Elle est faite de perceptions, de symboles et d’émotions.

L’économiste, avec ses modèles et ses statistiques, cherche des équilibres optimaux. Mais la politique ne fonctionne pas sur des courbes et des chiffres : elle est traversée par des intérêts contradictoires, des groupes de pression, des jeux d’influence. Un économiste qui entre en politique avec la conviction que la meilleure solution économique l’emportera sur les intérêts politiques risque de connaître une chute brutale.

Un exemple frappant est celui des politiques d’austérité. De nombreux économistes affirment que réduire les déficits est une priorité absolue pour assurer la stabilité financière d’un pays. Mais politiquement, les mesures d’austérité sont souvent un poison électoral : elles provoquent du mécontentement, des manifestations et, parfois, l’effondrement des gouvernements qui les mettent en œuvre. Ce décalage entre l’évidence économique et la réalité politique illustre bien la difficulté d’être à la fois économiste et politicien.

Une complémentarité indispensable

Plutôt que de voir cette séparation comme un problème, il faut la considérer comme une nécessité. L’économiste est là pour éclairer les débats, pour proposer des pistes rationnelles, mais il ne peut pas gouverner seul. Le politique, lui, doit écouter les économistes, mais aussi les sociologues, les citoyens, et composer avec les rapports de force.

Le danger survient lorsque l’un tente de jouer le rôle de l’autre. Un politicien qui se prend pour un économiste risque de prendre des décisions déconnectées de la réalité sociale. Un économiste qui veut faire de la politique risque de sous-estimer la complexité du pouvoir.

C’est pourquoi il est préférable que chacun reste à sa place. L’économiste doit fournir des analyses, alerter sur les risques, mais il ne doit pas imposer ses conclusions comme des vérités absolues. Le politique, quant à lui, doit prendre en compte ces analyses tout en intégrant les dimensions humaines et stratégiques du pouvoir.

Un équilibre fragile mais nécessaire

L’économie et la politique sont deux disciplines inséparables mais distinctes. Vouloir fusionner les deux reviendrait à créer des décideurs aveuglés par la technocratie ou des économistes réduits à des politiciens opportunistes.

Si beaucoup d’hommes politiques ne comprennent rien à l’économie, c’est parce que leur mission est avant tout de gouverner un peuple, pas de maximiser des courbes de croissance. Et si beaucoup d’économistes sont déconnectés des réalités politiques, c’est parce qu’ils cherchent des vérités universelles dans un monde où tout est relatif.

Au final, ce cloisonnement est peut-être la meilleure garantie d’un équilibre fragile mais nécessaire entre rationalité et pragmatisme. Car un monde gouverné par des techniciens serait froid et insensible, tandis qu’un monde dirigé sans aucun regard économique sombrerait dans l’improvisation. L’essentiel est de faire dialoguer ces deux mondes sans jamais les confondre.

Adnane Benchakroun




Samedi 8 Février 2025


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