Moralité : Dans les mains d’un sage, la nature est médecine. Dans celles d’un pressé, elle devient poison.
Un matin de printemps, une jeune femme du douar voisin gravit la montagne jusqu'à lui. Elle s’appelait Hnia, et sa voix était tendue comme une corde de oud. « Ma fille n’arrive plus à aller aux toilettes depuis quatre jours. Ni cumin, ni figue, ni huile d’olive n’ont fait l’affaire… »
Lhaj Mbarek, le regard perçant, lui fit signe d’attendre. Il entra dans son abri de pierre, en ressortit avec une poignée de tiges rougeâtres, épaisses, ressemblant à un étrange céleri peint par le soleil couchant.
— « Rhubarbe », dit-il doucement, en amazigh. « Mais attention… Ce n’est pas un jouet. »
Il expliqua à Hnia que cette plante, malgré son goût acidulé et ses vertus reconnues pour le transit, pouvait devenir dangereuse. « Le poison est dans la feuille. Toujours ! Jamais de tisane de feuilles. Jamais à volonté. Juste ce qu’il faut, et pas plus. »
Il lui tendit une préparation artisanale, mélange de rhubarbe coupée, miel de thym et eau chaude, à prendre une fois le soir, jamais deux.
Hnia descendit la montagne en courant presque. Le lendemain, elle revint avec des youyous de soulagement : sa petite fille allait mieux, toute souriante sur le dos de son frère. Lhaj Mbarek hocha la tête, content.
Mais la rumeur, comme souvent, courut plus vite que le vent. Bientôt, on vint de tout l’Atlas chercher "le bâton rouge du grand-père". On en voulait pour maigrir, pour digérer, pour embellir. On voulait en faire des confitures, des soupes, des miracles.
Alors Lhaj Mbarek, lassé, s’adressa au village lors d’une nuit de pleine lune.
— « La rhubarbe soigne, mais la rhubarbe punit aussi. Elle est comme la justice divine : douce avec les humbles, cruelle avec les cupides. Trop en prendre, c’est convoquer la douleur, l’acidité, parfois pire. »
Il enterra la dernière tige derrière son figuier sacré, et ne la ressortit qu’avec discernement.
Car au fond, ce n’était pas tant la rhubarbe qui soignait les gens, mais la patience du vieux, sa sagesse dosée à la main, comme un remède qu’on ne prescrit pas — qu’on murmure.
Moralité : Dans les mains d’un sage, la nature est médecine. Dans celles d’un pressé, elle devient poison.