Ces icônes légères et enfantines, omniprésentes dans les échanges numériques, sont devenues un langage codé pour certains prédateurs. Un simple 🍑, 🐱 ou 🍕 peut désormais faire basculer une vie. Derrière leur apparente innocence se cache parfois un système de communication secret utilisé pour approcher, manipuler, puis abuser.

Des enquêtes récentes, menées notamment par les polices européennes et américaines, ont révélé l’usage de certains emojis comme codes pour désigner du contenu pédopornographique. Le symbole de la pizza 🍕, associé à l’expression « cheese pizza » – un jeu de lettres pour « CP », acronyme anglais de « child porn » – circule ainsi sur des plateformes comme TikTok ou Telegram. L’emoji devient alors le cheval de Troie numérique d’une violence invisible.

​Le piège ne se referme pas avec des menaces ou des cris. Il se glisse dans une conversation anodine, un message privé, une session de jeu. Aucun cri, aucune alerte. Juste une série de symboles. Des messages courts. Et, parfois, un enfant qui bascule.

Car cette violence ne laisse ni hématome ni blessure visible. Elle laisse des silences. Des insomnies. Des troubles du comportement. Une anxiété diffuse. Les victimes, souvent très jeunes, peinent à comprendre ce qu’elles ont vécu. Comment expliquer à un adulte qu’un emoji reçu tous les soirs a été le début d’une agression psychologique et sexuelle ? Comment exprimer un malaise qui n’a pas de mots ?

Les professionnels de santé mentale alertent : de plus en plus d’enfants consultent pour des troubles dont l’origine remonte à une interaction numérique malveillante. Et trop souvent, ces signaux sont ignorés, minimisés, voire incompris.

Face à cette menace, les institutions peinent à suivre. La formation des professionnels – enseignants, soignants, policiers, éducateurs – reste lacunaire. Le langage codé du numérique n’est pas encore pleinement intégré aux grilles de lecture des cliniciens ni aux politiques publiques. Pire encore : certaines familles découvrent trop tard que, sous leur toit, à quelques mètres d’eux, un drame silencieux s’est noué.

Les plateformes, de leur côté, affichent des efforts variables. Les algorithmes de modération ne sont pas toujours en mesure de détecter les échanges codés. Et les signalements tardent à aboutir à des sanctions. Le numérique, espace de tous les possibles, devient aussi un territoire de non-droit pour les plus vulnérables.

Il est urgent de changer de paradigme. Ce n’est plus seulement d’éducation numérique dont il s’agit, mais bien de santé publique. Il faut apprendre à repérer les nouveaux signes d’alerte, former à la prévention psychiatrique et à l’écoute adaptée. Il faut enseigner aux enfants que certains messages, même colorés, peuvent cacher une intention nocive.

Il faut également responsabiliser les plateformes, soutenir les familles, et investir massivement dans des campagnes de sensibilisation adaptées aux réalités de 2025.

Car derrière un simple emoji peut se cacher le début d’un traumatisme profond. Et certaines blessures, bien qu’invisibles, laissent des cicatrices indélébiles.