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Le Maroc et ses voix d’ailleurs : pourquoi tant de bruit pour si peu de nouveauté ?


Par Adnan Debbarh

Pourquoi un rapport venu de l’étranger, sans réelle nouveauté analytique, a-t-il suscité un tel engouement au Maroc ? En interrogeant la réception du document Maroc 2035 signé Yasmina Asrarguis, Adnan Debbarh met en lumière une vérité moins confortable : si le pays avance vite sur les infrastructures, il avance lentement sur la pensée.

Le vacarme médiatique révèle moins la force du rapport que le vide doctrinal national et ce besoin persistant de validation extérieure.



Il existe des pays qui doutent. Et d’autres qui doutent de leur propre voix.

Le Maroc appartient à cette deuxième catégorie, celle des nations qui avancent, bâtissent, se projettent, mais qui ne s’entendent qu’à travers les mots des autres.

Il suffit parfois qu’un texte venu de loin, ou d’un Marocain formé à l’étranger, propose une lecture élégante de notre trajectoire pour que la machine médiatique s’emballe, s’incline, se rassure.
 

Le dernier épisode en date s’appelle Maroc 2035 : De l’émergence économique à la puissance-pivot ?

Un rapport signé par Yasmina Asrarguis, Marocaine brillante, dotée d’un parcours académique et institutionnel impeccable : Sciences Po, Princeton, cellule diplomatique de l’Élysée, ONU.

Il ne manquait que l’emballage Choiseul (Think tank) pour transformer ce travail en « événement ».

Et naturellement, tout le monde a suivi : presse, débats télévisés, plateaux radios, influenceurs politiques, experts improvisés. Mais, après lecture attentive, une question simple s’impose : pourquoi un texte sans réelle nouveauté analytique a-t-il provoqué un tel tapage ?

Car il faut être honnête : le rapport Asrarguis est bien écrit, rigoureux, correctement sourcé.

Mais il n’apporte aucune idée nouvelle, aucune grille d’analyse inédite, aucun concept susceptible de faire bouger une seule brique de notre réflexion stratégique.

Ses grandes lignes sont connues : Tanger Med comme levier de projection ; la montée en gamme automobile ; la bascule vers l’électromobilité ; les défis hydriques ; les inégalités territoriales ; la diversification diplomatique ; la stratégie africaine du Maroc ; l’importance de la protection sociale.
 

Rien de tout cela n’est inconnu.

Rien n’est révolutionnaire.
 

Nous avons déjà lu ces éléments dans des dizaines de rapports, de notes, de discours, d’études publiques et privées. Alors, encore une fois : pourquoi ce vacarme ?


Parce que le Maroc continue d’aimer s’entendre dire par l’extérieur ce qu’il n’ose pas dire lui-même.

Le Maroc continue d’aimer s’entendre dire par l’extérieur ce qu’il n’ose pas dire lui-même Le phénomène est ancien : le Maroc écoute avec une attention particulière ce qui vient de l’étranger, surtout lorsque cela concerne… le Maroc
Le Maroc continue d’aimer s’entendre dire par l’extérieur ce qu’il n’ose pas dire lui-même Le phénomène est ancien : le Maroc écoute avec une attention particulière ce qui vient de l’étranger, surtout lorsque cela concerne… le Maroc
Le phénomène est ancien : le Maroc écoute avec une attention particulière ce qui vient de l’étranger, surtout lorsque cela concerne… le Maroc.

Cela vaut pour les analystes français comme pour les universités américaines, les think tanks européens ou les consultants de réputation globale.

Dans un pays où l’espace du débat stratégique reste étroit, où les doctrines nationales sont rares, où la réflexion politique est souvent capturée par la tactique immédiate, la parole extérieure devient une sorte de validation symbolique.

Ce rapport n’a pas fait sensation pour ce qu’il dit, mais pour qui le dit et d’où il le dit. Sciences Po, Princeton,  Sorbonne-Nouvelle, cellule diplomatique de l’Élysée, Unesco, spécialiste des Accords d’Abraham... le sceau est prestigieux.

Le message est simple : « Une experte reconnue affirme que le Maroc est sur une trajectoire de puissance ». Et les médias marocains se sont empressés de répéter ce qu’ils savent que leurs lecteurs aiment entendre : le regard de l’étranger rassure toujours.
 

Le rapport Asrarguis est ainsi devenu un miroir flatteur : on s’y regarde, on s’y admire, on s’y reconnaît. Mais un miroir n’est pas une pensée. Parce qu’il n’y a presque plus d’écriture stratégique interne.

L’autre explication est encore plus profonde et plus inquiétante. Le Maroc n’a plus de grandes doctrines de développement. Plus de manifestes intellectuels. Plus de discours fondateurs. Plus d’espaces où penser le pays à l’horizon de vingt ou trente ans.
 

Depuis deux décennies, notre modernisation avance à un rythme soutenu, mais nos lieux de pensée restent figés.

Nous produisons des ports géants, des LGV futuristes, des zones industrielles admirées ; mais nous ne produisons plus de vision théorique de la modernité marocaine, de son État, de sa société., de ses contradictions, de ses promesses.


D’autres pays émergents ont su concilier : ambition économique et construction narrative.

La Corée du Sud, par exemple, a ancré sa réussite dans un récit national porté par ses élites et ses institutions, transformant ses défis en moteurs de cohésion.
 

Le Maroc, lui, reste en retrait sur ce terrain, comme s’il craignait d’assumer pleinement sa propre voix

Dans ce vide, le moindre texte structuré venu de l’extérieur apparaît comme une boussole. Ce n’est pas la force du rapport qui explique sa médiatisation. C’est notre désert doctrinal.
 

Le Maroc, aujourd’hui, importe ses récits comme il importait autrefois son industrie. Non par paresse intellectuelle, mais parce que la pensée stratégique a peu à peu quitté le cœur de l'appareil d’État et ne trouve plus de relais dans l’espace public.
 

On s’est habitué à administrer le réel plus qu’à le penser. Dès lors, un texte qui récapitule nos infrastructures, nos secteurs porteurs, nos alliances, nos défis hydriques ou énergétiques devient un substitut à ce que nous aurions dû produire nous-mêmes : un récit national de projection.

Voilà pourquoi le bruit médiatique autour du rapport dit davantage sur nous que sur son auteure. Parce que c’est un texte qui rassure et ne dérange personne.
 

Autre raison de son succès : le rapport ne touche pas aux zones sensibles. Il parle économie, diplomatie, industrialisation, projection africaine, mais jamais : de la verticalité administrative, de la défaillance de la justice, de l’opacité institutionnelle, de la crise de la parole publique, ni des failles politiques profondes qui limitent notre modernité.

Il ne parle pas non plus du décalage systémique entre vision royale et exécution gouvernementale. Il ne parle pas de la lenteur, de l’imputabilité, du pilotage fragmenté.


Il évite ce qui dérange, ce qui blesse, ce qui oblige à une conversation nationale difficile.

Le rapport est donc un document confortable, qui alimente un optimisme raisonnable sans rappeler les fractures structurelles.
 

C’est précisément ce qui le rend médiatiquement acceptable.
 

Et peut-être est-ce là que s’ouvre un espace, non de reproche mais de construction : celui où l’on accepte enfin de discuter collectivement de ce que signifie penser le Maroc par nous-mêmes, avec nos propres mots, nos propres doutes et nos propres exigences.
 

Alors, que raconte vraiment ce tapage ?

Il raconte ceci : le Maroc adore ses réussites, mais craint encore de produire la théorie de ses réussites.

Le pays avance vite, mais sa pensée avance lentement. Nous sommes une puissance en devenir sur les ports, sur les routes, sur l’énergie, sur la diplomatie, mais pas encore une puissance sur le récit.
 

Un pays qui veut devenir « puissance-pivot », pour reprendre l’expression du rapport, doit d’abord devenir puissance-récit.
 

Sans récit, pas de doctrine. Sans doctrine, pas de stratégie. Sans stratégie, pas de souveraineté pleine. Le rapport Asrarguis est utile. Il est sérieux. Il mérite lecture. Mais ce qui mérite réflexion, c’est l’enthousiasme disproportionné qu’il a suscité.
 

Il révèle notre besoin de reconnaissance externe et notre difficulté, encore, à nous dire nous-mêmes.
 

Un pays qui s’écoute dans les mots des autres finit toujours par emprunter leurs chemins. Il est temps que le Maroc écrive enfin sa propre voix.

PAR ADNAN DEBBARH/ QUID.MA




Mercredi 10 Décembre 2025

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