Chaque matin, chaque fin de semaine, chaque retour de vacances rappelle la même réalité : l’autoroute actuelle, pourtant stratégique, ne suffit plus. Saturée, imprévisible, parfois anxiogène, elle concentre à elle seule les contradictions de la mobilité marocaine. Trop étroite pour un corridor aussi vital, trop exposée pour absorber la croissance continue du trafic. La décision est donc tombée : Rabat et Casablanca méritent deux autoroutes.

La Société nationale des autoroutes du Maroc (ADM), sous la tutelle du ministère de l'équipement et de l'eau , vient de lancer l’un des chantiers les plus ambitieux de la décennie : une autoroute continentale reliant Casablanca à Rabat par l’intérieur des terres. Un projet titanesque, évalué à plusieurs milliards de dirhams, pensé comme une respiration pour le cœur économique du Royaume. Plus qu’un simple doublon, il s’agit d’une nouvelle colonne vertébrale destinée à désengorger durablement un axe où transitent quotidiennement travailleurs, marchandises, touristes et investisseurs.

Prévu pour démarrer en 2026, le chantier affiche un calendrier volontairement serré. Trente mois de travaux pour livrer une infrastructure stratégique, à la hauteur des standards internationaux. L’ambition est claire : offrir une alternative crédible à l’autoroute côtière actuelle, régulièrement saturée aux heures de pointe et particulièrement vulnérable aux incidents climatiques ou aux accidents. La future liaison intérieure promet un tracé plus fluide, plus sécurisé et mieux dimensionné pour les volumes de trafic à venir.

Derrière ce projet, il y a une vision d’aménagement du territoire. En s’éloignant du littoral, l’autoroute continentale ouvre de nouvelles perspectives aux zones de l’arrière-pays. Elle pourrait accélérer l’urbanisation maîtrisée de certains territoires, attirer des plateformes logistiques, stimuler l’implantation de zones industrielles et redistribuer une partie de la pression foncière qui pèse aujourd’hui sur la frange côtière. Autrement dit, ce n’est pas seulement une route que l’on construit, mais un nouvel équilibre territorial.

Pour mener à bien ce chantier colossal, le tracé a été découpé en neuf lots distincts. Une approche qui permet à la fois de sécuriser les délais et de diversifier les expertises mobilisées. Plusieurs entreprises marocaines de premier plan ont été retenues, aux côtés de groupes internationaux de poids, notamment China Railway et China Road and Bridge Corporation. La présence de ces géants chinois confirme l’attractivité des grands projets marocains et s’inscrit dans une coopération Sud–Sud déjà bien rodée dans le domaine des infrastructures.

Ce choix n’est pas neutre. Il traduit la volonté d’ADM de combiner savoir-faire local et expertise internationale, tout en garantissant une capacité d’exécution à grande échelle. Les entreprises marocaines y trouvent un terrain d’apprentissage et de montée en compétence, tandis que les partenaires étrangers apportent des méthodes industrielles éprouvées sur des projets comparables en Asie ou en Afrique.

Reste une question centrale : cette seconde autoroute suffira-t-elle à régler durablement le problème des embouteillages entre Rabat et Casablanca ? À court et moyen terme, la réponse est clairement oui. À long terme, elle dépendra d’une politique globale de mobilité intégrant rail, transport collectif et logistique intelligente. Une infrastructure, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut à elle seule absorber une croissance infinie du trafic.

Mais une chose est sûre : ce projet marque un tournant. Il acte la reconnaissance officielle d’un fait que les automobilistes connaissent depuis longtemps : entre Rabat et Casablanca, une seule autoroute ne suffit plus. Et parfois, pour avancer, il faut savoir doubler la voie.